Mata Hari

1876-1917

Extraits des dossiers du Conseil de guerre (GR 9 J 1231 et GR 9 J 873-7) et du dossier du service de renseignements (GR 7 NN 2 3298)

 

Mata Hari, de son vrai nom Margaretha Geertuida Zelle, est née en 1876 à Leeuwarden, en Hollande. A 19 ans, elle se marie avec un officier de la marine néerlandaise, le capitaine Mc Leod, et le suit sur l’Île de Java, où il est affecté.

A son retour et après son divorce, elle s'installe à Paris en 1903. Là, elle se met en scène dans des spectacles mêlant la danse orientale et l'effeuillage, sous le pseudonyme de Mata Hari (L'œil du jour en malais). Son succès lui permet de se produire dans toute l'Europe, de s'enrichir et de fréquenter nombre d'artistes, banquiers et officiers de toutes nationalités.

La guerre venue et face à l'annulation de plusieurs contrats, Mata Hari n'hésite pas à prendre des risques pour maintenir son train de vie. Cosmopolite et polyglotte, elle intéresse les services secrets allemands mais également français, auprès desquels elle s'engage impulsivement sans mesurer le danger.

Elle est arrêtée le 13 février 1917. Jugée coupable d'intelligence avec ennemi par le 3e Conseil de guerre, elle est fusillée à Vincennes le 15 octobre 1917

Qui est Mata Hari ?

Le Service historique de la Défense possède plusieurs documents d'identité ayant appartenu à Mata Hari. Ils ont été saisis lors de la perquisition de sa chambre d'hôtel le 13 février 1917, avec douze autres lots mis sous scellés.

Ces documents officiels accablent la légende que Mata Hari a soigneusement échafaudée au fil des interviews aux journalistes, auxquels elle racontait être indienne née d'une mère bayadère. Née le 7 août 1876 à Leeuwarden, une petite ville du Nord des Pays-Bas, sa beauté en revanche était bien réelle. Grande : elle mesurait 1m75, très brune avec des yeux verts tirant sur le brun, les photographies la montrent très élégante : portant chapeau et bijoux, coiffée avec soin et luxueusement vêtue.

Parmi ces documents se trouve le laissez-passer (carnet d'étranger) qui lui a été délivré par Georges Ladoux, chef des services du contre-espionnage français, pour lui permettre de rejoindre à Vittel Vadime Masslof, capitaine russe au service de la France blessé à l’œil et soigné là-bas, dont elle était éperdument amoureuse. C'est pour obtenir ce sésame, qui lui avait été refusé une première fois, qu'elle se serait engagée auprès de Ladoux à fournir des informations aux services secrets français. Ou comment un simple laissez-passer laisse voir en filigrane la personnalité de l'espionne : passionnée, entière et non dénuée d'une certaine hardiesse.

Le train de vie de Mata Hari

Frivole, dépensière, insatiable, les adjectifs des biographes de Mata Hari pour caractériser son train de vie ne manquent pas.

De nombreuses factures, contenues dans son dossier de procédure (GR 9 J 1231), proviennent de boutiques variées : confection, chausseurs, bijoutiers, corsetiers, maroquiniers etc. Elles égrènent d'impressionnantes listes d'achats : chemises, manteau, cache-corset, jarretelles, peignoir, richelieus, colliers ou sacs, dont les prix et les descriptions détaillées témoignent de la qualité.

En 1915, très endettée, elle vend son luxueux hôtel particulier de Neuilly et retourne s'installer en Hollande, à La Haye. Lors de ses voyages ultérieurs à Paris, elle séjournera toujours à l'hôtel, occasionnant ainsi d'autres dépenses importantes, comme le montrent les nombreux reçus de grands hôtels, tous situés dans les beaux quartiers.

Son goût du luxe et des belles choses a parfois guidé ses actes, la poussant à accepter certains cadeaux ou se lançant dans des achats inconsidérés au mépris de toute prudence. Lors de son procès, certains témoins à charge, fournisseurs de Mata Hari pour des vêtements ou des accessoires, en profiteront pour faire état de nombreuses factures impayées laissées derrière elle par l'accusée.

La surveillance

Dès 1916, la section de centralisation des renseignements est persuadée que Mata Hari est bien l'agent H21, à la solde de l'Allemagne, et la fait surveiller. Le dossier de procédure de Mata Hari contient de nombreux rapports de surveillance, rédigés par deux inspecteurs de la Sûreté, qui signent parfois leurs rapports : Tarlet et Monier. Cette surveillance, commencée le 18 juin 1916, a continué de façon irrégulière jusqu'en janvier 1917, parfois de façon quotidienne.

Très précis, ces rapports permettent de suivre la suspecte d'heure en heure, la plupart du temps d'une boutique à une autre. Comme elle le mentionne dans la lettre du 15 janvier 1917 reproduite ici et provenant du dossier des services de renseignements (GR 7 NN 2 3298), Mata Hari se sait surveillée, et ceux qui la surveillent savent qu'elle le sait. On peut lire ainsi dans un rapport du 13 janvier 1917 : « Nous mentionnons que cette femme s'entoure de grandes précautions, elle se retourne fréquemment et, lorsqu'elle traverse une chaussée, sous le prétexte de regarder s'il ne vient pas de voiture, elle lance un coup d’œil circulaire. »

Sa correspondance est également prélevée à la conciergerie des hôtels où elle loge, et toutes ses communications téléphoniques et rencontres consignées. Mata Hari eut une activité épistolaire intense, le dossier constitué par les services des renseignements contient des dizaines de lettres signées de sa main, dans lesquelles Mata Hari se livre parfois sans détours. Elles sont écrites dans un français parfait, car Mata Hari avait appris cette langue dès l'école primaire.

L'instruction et le procès

Lors de la perquisition de sa chambre d'hôtel le 13 février 1917, à l'issue de laquelle elle sera arrêtée, douze lots d'objets ou de documents sont prélevés et mis sous scellés. Parmi ces lots, de la correspondance, des photographies, des livres, des objets, des billets de banques, des produits de toilette, ainsi que toutes les cartes de visites en sa possession, qui serviront de base à l'établissement de la liste des témoins.

Dès son arrestation, Mata Hari est interrogée et incarcérée à la prison Saint-Lazare, où elle restera jusqu'à l'issue du procès.

Après nombre d'interrogatoires et de témoignages recueillis par Pierre Bouchardon, capitaine-rapporteur au 3e Conseil de guerre, le procès débute le 24 juillet 1917, se déroule à huis-clos et ne dure que deux jours.

Le 25 juillet, le 3e Conseil de guerre permanent déclare la nommée Zelle, Marguerite Gertrude, divorcée de M. McLeod, coupable d'espionnage et d'intelligence avec l'ennemi dans le but de favoriser ses entreprises, et la condamne à la peine de mort.

Le même jour, Mata Hari se pourvoit en révision. Ce recours est rejeté le 17 août par le Conseil permanent de révision. Sa demande de grâce ayant été refusée par le président Raymond Poincaré, son ordre d'exécution est rédigé le 14 octobre 1917 par le Gouverneur militaire de Paris. Elle est fusillée le lendemain matin à l'aube, au polygone de tir de Vincennes.

Et après ?

Le dossier du service des renseignements contient des documents allant jusqu'en 1935, prouvant que même après le procès, les services français continuent de s'intéresser aux retentissements et à la perception internationale du jugement. On y trouve des demandes émanant des services secrets anglais, des documents espagnols et des coupures de presse faisant état de la parution de témoignages de fonctionnaires (dont Ladoux en 1932), médecins etc. ayant participé de près ou de loin à sa chute.

La légende Mata Hari naît dès le lendemain de son exécution. De nombreux livres lui sont consacrés, jusqu'à un par an entre les deux guerres. Encore récemment (2016), Paulo Coelho raconte son histoire dans son roman L'espionne. Elle est interprétée au cinéma, entre autres, par Greta Garbo en 1931 ou Jeanne Moreau en 1964.

La guerre finie, ni les allemands ni les français n'ont pu démontrer que Mata Hari avait fourni des informations capitales à l'une ou l'autre des nations. Frédéric Guelton, dans un article de la Revue historique des armées de 2007 (voir rubrique Pour aller encore plus loin), résume ainsi ses activités, la qualifiant de « demi-mondaine agent double sans avoir probablement jamais réellement espionné ». Ce flou persistant autour de ses activités d'espionnage a poussé la fondation néerlandaise Mata Hari et sa ville natale, Leeuwarden, à déposer une requête en révision de son procès auprès de Marylise Lebranchu, alors ministre de la Justice française, en 2001. Cette demande fut rejetée.

En savoir plus :

Dossiers de justices : GR 9 J 1231, GR 9 J 873-7 et GR 9 J 1201-3, en ligne sur le site Mémoire des hommes, au nom de ZELLE dans les dossiers des fusillés de la 1re Guerre mondiale :

 

Pour aller encore plus loin :

Frédéric Guelton, « Le dossier Mata Hari », dans Revue historique des armées, no 247, Service historique de la Défense, 2007, p. 82-85.

Mata Hari, le dossier secret du conseil de guerre, sous la direction de Jean-Pierre Turbergue, éd. Italiques, 2001.

 

Dernière modification le 03/02/2023