L’été de la liberté : le fonds du capitaine Rieu au Service historique de la Défense.

L’été de la liberté : le fonds du capitaine Rieu au Service historique de la Défense (DE 2022 PA 100).
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L’été de la liberté : le fonds du capitaine Rieu au Service historique de la Défense (DE 2022 PA 100).

En février 2022, le Service historique de la Défense fait en salle des ventes l’acquisition de la correspondance et du journal du capitaine Rieu, témoin de la Libération de Paris : trente-six lettres autographes signées, que complète un journal manuscrit de vingt-sept pages. Les indications biographiques d’usage ne figurent pas au catalogue, et pour cause : on ignore à ce stade l’identité exacte de cet officier.

 

Service historique de la Défense
Vincennes

Heureusement, la lecture de son dossier individuel (conservé à Vincennes sous la cote GR 8 Ye 4992) aide à préciser certains points. René Edouard Auguste Rieu, né à Paris le 27 mars 1898, est étudiant lorsqu’il s’engage pour quatre ans, à Argenteuil, le 27 décembre 1916, au sein du 83e régiment d’artillerie lourde. Passé au 251e régiment d’artillerie de campagne le 9 septembre 1917, il est nommé sous-lieutenant d’active à titre temporaire le 10 juin 1918. Blessé par un éclat d’obus le 27 septembre 1918 en Champagne (près de la ferme Navarin), il est cité deux fois à l’ordre de son régiment et décoré de la croix de guerre 1914-1918. Son implication dans les combats de « la précédente dernière », comme il dit, était explicite dès les premières pages du journal écrit en 1944 :

« En 1918, ils [les Américains] avaient brillamment réduit le saillant de Saint-Mihiel ; mais l’affaire aurait pu être une catastrophe si les Allemands avaient vu l’embouteillage et le désordre régnant à l’arrière des lignes américaines. […] En Champagne, je les vois encore, ils manœuvraient en plein jour, sur les crêtes sous le nez des avions, des saucisses et des observatoires allemands […]. »

Placé en congé de démobilisation à la fin de l’année 1920, il passe dans la réserve avec le grade de sous-lieutenant, avant d’être promu au grade supérieur en avril 1923. Au 1er septembre 1939, cet ingénieur mobilisé et fraîchement nommé capitaine devient chef du service des transmissions du 235e régiment d’artillerie lourde. Fait prisonnier lors des combats de 1940, il est libéré le 11 août 1941 et rendu à la vie civile le 13. L’entreprise qui l’emploie alors, la SADE (Société Auxiliaire des Distributions d’Eau, créée en 1918 par la Compagnie Générale des Eaux[1]), dispose sur tout le territoire de succursales dont il a la charge :

« À la SADE, nous n’avons pas de nouvelles de nos succursales de Rouen, Reims, Cherbourg et Lisieux : pas de train, pas de lettres ! Quand il n’y aura plus de trains à la gare de Lyon, nous serons coupés d’avec nos succursales de Dijon, Lyon Marseille et Toulon et je n’aurai plus rien à faire. » (lettre du 12 juin 1944).

Les problèmes de transport entre son domicile, rue Bezout (près de la place d’Alésia) et le siège de la SADE, rue de la Baume, non loin de la gare St-Lazare, sont quotidiens :

« Notre maison est une des très rares qui ne soit pas fermée. Le patron ne nous oblige pas de venir, mais ne nous dit pas de ne pas venir : la maison est ouverte. En fait, le petit personnel ne vient plus. » (Journal, mercredi 23 août).

La correspondance de l’année 1944 évoque surtout « les valeurs sûres », ces biens de première nécessité dont la survie de tous dépend : eau, gaz, électricité, bois, charbon, pain, œufs, légumes, fruits, viande, beurre… les forces d’occupation figurant à l’arrière-plan de ce qu’il appelle encore à cette date une « drôle de guerre » :

« Non ! Paris n’est pas un enfer et tout y est très calme. On ne se croirait pas en guerre s’il n’y avait pas les alertes et les queues aux boutiques. Aucun bombardement encore sur Paris depuis les éclaboussures de celui de La Chapelle ; mais par contre, arrêts prolongés du métro à chaque alerte. » (lettre du lundi 10 juillet 1944.)

De l’insurrection et de la Libération proprement dites, le journal détaille les faits marquants : la grève générale, les appartements pavoisés, les rares bombardements (principalement la nuit du 24 au 25 août), l’entrée triomphale de la 2e Division blindée dans la ville appuyée par l’infanterie américaine, les actes désespérés d’une « cinquième colonne » à l’origine de plusieurs fusillades, la messe du 26 août, à Notre-Dame, en présence du général de Gaulle. Une information, pourtant, ne pouvait figurer dans les papiers acquis récemment : la date de son décès dans Paris libéré, le 16 novembre 1944, avec la mention « Mort pour la France »[2].

 


[1] Voir le film institutionnel de la SADE disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=FnthhsQc1Ns

[2] Voir Archives de Paris, cote 14D 446. Si la mention « mort pour la France » nous est connue, les circonstances exactes de son décès nous échappent encore.

Quelques documents du fonds Rieu :

Dernière modification le 25/04/2023

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